Le Scriptorium Ludique ouvre une nouvelle tribune dans ses lignes "La parole est à ..."
Cette nouvelle rubrique permet à certains acteurs ludique de prendre la parole. L'idée n'est pas la mienne, mais celle de Thomas Munier (Alias Pika - auteur indépendant Millevaux (setting pour Sombres), Musiques Sombres pour JDR Sombres ...) qui suite à un appel sur Facebook proposait à des sites, blog ou tout autre médium de ce type de profité de ses billets d'humeur et de réflexion.
C'est donc tout naturellement que j'ai donc proposé à Thomas de déverser l'encre de sa créativité sur le Scriptorium et j'avoue que je ne suis pas déçu tant la qualité de sa réflexion est profonde et juste.
Je vous propose donc de découvrir le premier article d'une série que j'espère être longue.
De l’ubiquité dans les idées
Un article invité par Thomas Munier, auteur indépendant de Musiques Sombres pour Jeux de Rôles Sombres et de Millevaux, un univers pour le jeu de rôle Sombre. http://thomasmunierauteuroutsider.comyr.com/
Si j’avais eu un euro par idée, je ne serais pas en train de taper cet article.
Ce serait Kate Moss qui serait en train de taper son article, tandis que je le lui dicterais depuis mon jacuzzi.
Vous me direz que si mes idées valaient au moins un euro l’unité, j’aurais dit à Kate Moss d’arrêter de taper pour venir me rejoindre dans le jacuzzi. Mais je ne crois pas que ça aurait plu à ma femme.
En revanche, si j’avais perdu un euro à chaque fois que j’avais laissé filer une idée, je ne serais pas non plus en train de taper cet article, car j’aurais revendu mes mains pour me payer à manger. Je ne crois pas non plus que ça aurait plu à ma femme.
Heureusement, j’ai une méthode pour collecter et mettre en œuvre mes idées. Je vous l’explique aujourd’hui dans le cadre des routines de maîtrise en jeu de rôle. Mais ça pourrait bien vous servir pour d’autres domaines de la vie. Comme construire un jacuzzi vous-même plutôt que d’attendre que vos idées vous rendent riche. L’intérêt du jeu de rôle, c’est qu’on peut mettre beaucoup d’idées en pratique à la fois. On voit tout de suite le résultat et on a tout a fait le droit de se vautrer. Ce n’est qu’un jeu, après tout.
Les idées sont des choses volatiles qui peuvent vous venir à tout moment et en tout lieu. Surtout quand on fait autre chose que de brainstormer. On peut préparer un scénario en bloquant quelques temps pour faire un mind map tel que le propose la Bible du Meneur de Jeu. On peut aussi avoir des idées spontanément alors qu’on est en train de faire tout autre chose. En colmatant les fuites de ce foutu jacuzzi fait maison, par exemple.
Petite histoire qui s’étale bien sur un an, avec des idées par flash et des idées par vagues. Une fois sur Antonio Bay, je lis un message de Xaramis qui propose de rédiger des scénarios en deux A4 maximum. Une autre fois, j’ai un coup de cœur pour la couverture du rétroclone Dark Dungeons. J’envisage alors de faire un scénario de Millevaux rendant hommage aux rétroclones. Et pour le coup, tenant en deux A4. Ça, ce sont deux idées par flash. A chaque compte-rendu sur le forum de Terres Etranges, l’auteur du jeu de rôle Sombre me donne un peu plus envie de proposer moi aussi des quickshots, ces scénarios au décor improvisé par les joueurs. Ça, c’est une idée par vagues. C’est la combinaison des trois qui m’a poussé à écrire Transilvanian Hunger, un donjon mortel dans la Roumanie de Millevaux.
Nos scénarios ou nos routines de maîtrise les plus cool nous viennent d’idées reçues par flash ou par vagues. Plusieurs idées cool combinées entre elle pour donner un ensemble encore plus cool. Le problème, c’est que si je n’avais pas noté quelque part « faire un scénario en deux A4 », « faire un scénario hommage aux rétroclones » et « faire un quickshot », je n’aurais jamais conçu Transilvanian Hunger.
Pour y parvenir, j’ai employé une méthode de collecte tirée de la méthodologie de travail GTD. J’utilise personnellement la méthode dans son ensemble dans tous les domaines de la vie courante. Mais je ne suis pas là pour prêcher et l’eau du jacuzzi commence à refroidir. Je me concentrai sur deux aspects de cette méthodologie. La collecte des « En Attente » et la collecte des « Un Jour Peut-Etre ». Cette collecte me permet de retenir mes idées et d’en faire quelque chose. Car faire confiance à ma seule mémoire revient à jeter mes rares éclairs de génie avec l’eau du jacuzzi.
Je vais prendre pour exemple une séance du jeu de rôle Mississippi dont je suis assez satisfait. Et qui n’aurait pas vu le jour sans cette méthode de collecte. Encore une fois, la séance exploite une année d’idées émises par flash et par vagues.
Le concept est simple. Quand je pense à quelque chose que je peux mettre en application dans un jour lointain, je le note quelque part, dans la catégorie « Un Jour Peut-Etre ». Si je pense à quelque chose que je mettrai en application à une date précise ou dans une circonstance précise, je le note quelque part, dans la catégorie « En Attente », avec un déclencheur, comme « le 1er mars » ou « prochaine séance de Mississippi ».
Ce qui pose le plus problème, c’est le support de notation. L’outil de capture ubiquitaire, comme on dit dans le jargon. Car les idées surviennent dans les endroits les plus insolites ! A toute heure du jour et de la nuit. J’ai d’abord utilisé un carnet. Mais je ne l’avais jamais sur moi quand j’avais une idée. J’ai eu jusqu’à 6 carnets différents éparpillés dans des endroits stratégiques. Mon sac, mon bureau, la salle de bain... J’en ai encore un dans ma voiture et un au bord de mon jacuzzi. J’y ai écrit : « Faire quelque chose pour colmater ces fuites ».
Aujourd’hui, mon outil de capture ubiquitaire, c’est mon smartphone. Quand j’ai une idée, je m’envoie un mail a moi-même avec comme sujet « Un jour peut-être » ou « En Attente ». Une fois par semaine, je traite ces mails et je les ventile dans un tableau excel avec les colonnes Type (« Un jour peut-être » ou « En Attente »), Projet (exemples : Millevaux, Mississippi…) et déclencheur (exemple : « prochaine partie », « prochaine convention », « rédaction du scénario », etc…). Ce tableau, je le relis en entier une fois par mois. Je peux vous dire que parcourir toutes ses idées en suspens donne une délicieuse sensation de vertige. C’est de là que naissent mes expériences de jeu de rôle les plus cool.
Un jour, j’écoute le podcast de Radio Rôliste qui parle de Mississippi (http://radio-roliste.net/2011/12/28/radio-roliste-11-homo-sapiens-polyedris/). Je note « Un jour peut-être / JDR : acheter Mississippi). A l’approche de mon anniversaire, je maile à mes amis la liste des mes Un Jour Peut-Etre / JDR. Ça ne loupe pas, je reçois le jeu en cadeau (merci les copains !). Un autre jour, à la lecture de Dirty MJ de John Wick, je note l’idée de jouer sans points de vie pour mettre la pression aux joueurs et donner du rythme aux bastons. Ça va dans mes « Un jour peut-être / JDR ». Plus tard, en lisant un billet du blog Du bruit derrière le paravent, j’accroche au concept suivant : Plutôt que de se casser la tête à deviner quels éléments vont amuser ces joueurs, il devrait tout simplement leur demander. Cette idée me convient pour un jeu comme Mississippi, au background assez riche. Hop, dans les « Un Jour peut-être / Mississippi ». Cette fois-ci, je le note directement sur mon fichier Excel car je suis sur mon ordinateur au même moment. Une autre fois, au milieu de la nuit, j’ai un flash : je veux commencer un scénario de Mississippi par une intro in media res. Un PJ retrouve ses esprits au beau milieu d’un match de boxe, sans se souvenir des 24 H qui ont précédé. Dans un demi-sommeil, j’attrape mon smartphone et je tape ça dans le noir. Ben oui, je vais pas réveiller ma femme parce que j’ai une idée d’intro de scénar. Je suis un nerd mais je suis quand même un gentleman. Direction « En Attente / Mississippi / prochain scénario ». Celle-là, si je l’avais pas notée aussitôt, elle prenait un aller simple pour les limbes de l’oubli. On se rapproche de la soirée que j’ai fixée pour jouer à Mississippi. Au passage, je trouve sur le Scriptorium Ludique (tiens donc) un deck de cartes pour gérer les initiatives. Hop, je télécharge et j’y fais mention dans une ligne « En Attente / Mississippi / prochain scénario ».
Le soir fatidique est enfin arrivé. La veille, j’ai ouvert mon fichier Excel. J’ai visionné tout ce qui était tagué « JDR » et « Mississippi », j’y ai retrouvé les idées dont je vous parle. Je n’ai plus eu qu’à faire l’assemblage en cours de jeu. J’ai commencé par briefer les joueurs sur le style de l’univers et demander le type de lieux, de personnages, de scènes, qu’ils aimeraient voir. Pour chaque élément j’ai préparé un petit papier (bayou, sorcier vaudou, bateau à aubes, ku klux klan, enterrement…). J’ai demandé à chaque joueur de me sélectionner trois petits papiers. J’ai récupéré les petits papiers avec pour objectif d’en assembler trois par scène. J’ai commencé la séance avec mon intro in media res au milieu d’un combat de boxe clandestin… Dans la cale d’un bateau à aubes parce que j’avais cet élément à caser. Le combat a vite dégénéré en baston généralisée. J’ai fourni aux joueurs les cartes d’initiatives du Scriptorium Ludique mais j’ai ignoré le système de points de vie. On a joué sans points de vie, mais version pulp. Tout PNJ touché était aussitôt neutralisé, tout PJ touché était neutralisé pendant un round. Ainsi, les scènes d’actions étaient très nerveuses. Au final, soirée mémorable avec des bastons rapides et homériques, des scènes d’actions dans des trains de bestiaux et des bateaux à aube, une reprise du mythe d’Orphée et d’Eurydice, avec Charon métamorphosée en sorcière vaudou. Et comme l’avaient voulu les joueurs, un affrontement final contre un shérif maléfique au milieu d’un enterrement bluesy.
Avant que je pratique cette méthode de collecte, j’oubliais mes meilleures idées aussitôt après les avoir formulées. Aujourd’hui, j’ai du stock pour des années. Et surtout, je peux facilement utiliser les idées des autres. Des personnes de talent écrivent des choses percutantes sur le jeu de rôle. Le meilleur hommage que je puisse leur rendre est de lire ce qu’ils font avec le smartphone à la main pour, au cas où, noter leurs gimmicks de génie ou leurs routines du chaos quelque part dans ses « Un jour… sûrement ! ».